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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

Édito du bout du monde

Dernière mise à jour : 2 juin 2021

Bout du monde, ce n'est pas moi qui le dis, puisque la Réunion est appelée dans la terminologie de l'Union Européenne RUP, région ultra périphérique, ce qui est un peu ironique pour un gars qui il y a 2 ans montait Carmen, opéra déplacé pour lutter justement contre le sentiment périphérique ! Au reste, je ne sais pas si la Réunion est au bout du monde, mais ce que je sais, c'est que la Réunion est un bout de monde, et même un sacré bout de monde !


Ce matin à Saint-Leu, 21°09′59″sud, 55°17′13″est, la marée est si basse qu’on voit les galets affleurer dans le lagon. Marée d’avant solstice d’hiver austral ou de fin de pleine lune.


Ça m’a rappelé mes leçons d’école : que la marée presque partout imperceptible en Méditerranée pouvait en quelques endroits, lorsqu’aucun vent contraire n’annulait son effet, atteindre quarante centimètres.


Espérons que la prochaine de ces marées du côté de Marseille ne soit pas une marée brune et apocalyptique…


Mais je ne vais pas perdre la moindre minute de ce très beau matin du monde à parler de ça, pas plus d’ailleurs que de pandémie, de saison bousculée, mutilée, abîmée, ni même de reprise, non je voudrais parler, pour une fois dans un de mes éditos, d’Attention Fragile, de son avenir, de sa force majeure.

Je me souviens qu’en 2008, au début d’une autre grande crise qui dure encore pour la culture et qui nous forçait la main pour penser au jour le jour, j’avais écrit sur le dossier qui annonçait Un peu d’ombre et de confidences, cet archipel de spectacles qui s’est monté de 2008 à 2014, “Quand tout semble prendre le spectacle vivant à la gorge, autant prendre son temps”. Cela voulait dire ce que crie Humphrey Bogart à Katharine Hepburn dans Africa Queen“la seule chance de se sortir des rapides, c’est que le bateau ne subisse pas le courant, mais aille plus vite.” Et pour celles et ceux qui préfèrent les métaphores sportives aux marines, je laisse parler Jimmy Connors – “On peut tenir un peu de temps en défense mais sur la longueur, on ne gagne qu’en attaquant.”

Me voilà au bout du monde, mais cette décision est plutôt une conséquence de ce dont je rêve pour Attention fragile, que de ce qui va changer.

Je suis persuadé depuis longtemps que la compagnie a vocation à être une passeuse. J’en suis persuadé parce que je ne voudrais pas qu’il arrive aux artistes de 20 ou 30 ans ce qui s’est passé pour nous, une reconnaissance, ou même une liberté de travail trop tardive et nous devons prendre notre part de responsabilité à cet endroit.

C’est exactement ce qu’on est en train de mettre en place et dont mon éloignement est un des moyens.

Depuis 2 ans, je travaille avec Lulu (oui, la Lulu de Lulu’s Paradise) à une codirection artistique, cela me permet d’être présent sans être omniprésent. La voilà donc en charge directe de la compagnie, en écoute avec moi mais avec un vrai territoire que ma présence rendrait difficile.

Cela s’incarne et se concrétise aussi dans le fait que la prochaine production de la cie soit Re_te_nue, un projet porté par elle et auquel je participerai à la manière d’une sage-femme.

Si ça s’arrêtait à ça, ça pourrait n’être qu’une pirouette mais Attention Fragile porte et produit 3 spectacles qui donnent la parole à des jeunes femmes.

Je suis Carmen! vient de naître et, même s’il a été écrit et mis en scène par moi, mon travail s’efface derrière la parole et les corps en liberté d’Amanda et de Sophie et pour tout dire, leur épatante présence.

J’accompagne depuis 2 ans Marion Coulomb, jeune circassienne violée pendant son adolescence pour créer un spectacle autour de sa vie, de sa survie après ça et de sa renaissance. Ça s’appellera La Boite de Pandore et, comme je suis un peu loin, j’ai proposé à Princïa et Pépita Car, deux jeunes femmes formidables, l’une venue de la scène, l’autre du cinéma, d’accompagner elles aussi Marion dans cette création.


Et puis arrivera Lulu et son Re_te_nue, spectacle ou plutôt sorte d’expérience qui va toucher à nos bords, à nos confins, à notre nous profond. Il va côtoyer les mythes, les limites, les dangers, le consentement, les résistances, les origines diverses et confuses du plaisir, la ligne de partage intime qui sépare les bassins versants de notre désir de liberté et de notre assentiment aux contraintes.

Voilà. Des créations sur lesquelles je reste penché mais plus discrètement.


En 2017, je parlais au centre de la piste du Nouveau monde du besoin d’horizontalité et de parole partagée. J'en parlais... aujourd’hui la compagnie l'exerce et participe pleinement de l’avenir en donnant la parole à celles et ceux qui sont légitimes à s’en saisir.

Saint-Leu – La Réunion (vous l’aurez compris), le 1er juin.

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