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Au revoir les enfants. Lettre aux collégiens du collège Anne Franck

Photo du rédacteur: Gilles CailleauGilles Cailleau

Je m’en vais demain matin. Ça ne va pas être facile. J’ai passé dix jours avec vous qui font espérer du monde et de l’avenir, ce n’est pas si souvent. Je voudrais vous dire une chose avant de partir. Voilà : il y a ceux qui sont venus voir le spectacle, ceux qui ne sont pas venus, ça n’est pas grave. Ceux qui ont tourné autour de la tente, qui sont rentrés dedans quand je rangeais mes accessoires, ceux que j’ai embêtés à la cantine, ceux qui nous ont regardés, moi et Philippe, un peu de loin, méfiants ou timides. Il y en a même peut-être qui ne se sont pas aperçus qu’on était là, ou qui n’ont pas compris pourquoi. Et puis il y a ceux qui ont passé la journée avec Luc, à faire les acteurs, ceux qui ont eu peur, ceux qui ont eu envie, ceux qui se sont forcés à passer, ceux qui n’ont pas pu, pour qui être devant les autres était trop difficile… Je ne sais bien que notre présence vous a plu, mais ça ne me suffit pas. Parce que voyez-vous, vos parents, enfin la plupart de vos parents, ne vont pas au spectacle. Ce n’est pas que je manque de clients, c’est que je suis triste de voir que ces plaisirs qu’on a quand on a moins de vingt ans, on y renonce si facilement quand on est adulte. Je ne voudrais pas que ça vous arrive. La vie a tendance à faire le rouleau compresseur. Il y a tout ce qu’on croit utile, nécessaire. Il y a toutes les fois où on dit : – « Je ne peux pas… Je n’ai pas le temps…Il faut que j’y aille… La prochaine fois... » Mais en réalité, on a toujours le choix et le temps, et c’est tellement important de ne renoncer à rien de ce qui nous nourrit. C’est ça, c’est une question de nourriture. Il y a deux façons d’avoir faim, soit on ne mange pas assez, soit on se gave. Et le monde est dirigé par des gens qui veulent vous faire avaler des tas de choses qui ne nourrissent pas, qui donnent faim, et envie d’acheter autre chose. Et ces mêmes gens ont tout intérêt à ce que vous soyez résignés et persuadés que vous ne méritez pas le meilleur. Alors, si ce qu’on a partagé vous a nourri, c’est à vous de ne pas le perdre. (je ne parle pas de ce spectacle, bien sûr, mais de tout ce qui vous remplit de richesse.) Je suis sûr que vous le sentez, quand quelque chose que vous vivez ou que vous faites vous grandit, vous rend plus aimable à vos propres yeux. Oui. C’est ça que je voudrais vous dire… C’est que bien sûr, ça me fait plaisir si vous dites « le spectacle était bien ! » mais l’important c’est qu’en sortant de ce spectacle, vous vous disiez « J’étais bien. ! » Que vous voyiez à quel point vous êtes vivants, généreux, intelligents, capables de réfléchir, d’écouter, capables de vous émouvoir, de partager avec d’autres… Votre boulot, votre responsabilité, votre exigence, c’est de croire en vous et de cultiver en vous toute cette richesse, de ne jamais la laisser tomber. Et puis, avant de parler comme un vieux donneur de leçons, je voudrais bien prêcher pour ma paroisse. Pour le théâtre. Comme on en lit en cours de Français, comme on étudie des auteurs morts il y a longtemps, comme les grands rôles sont difficiles et joués par des acteurs et des actrices plus âgés que leur rôles, on pense que le théâtre est une affaire de vieux. Mais ce n’est pas vrai ! Le théâtre est une histoire de jeunes. La plupart des héros, dans les pièces, n’ont pas plus de vingt ans. Ils sont exactement comme vous, ils ne savent pas bien comment faire. Pour aimer, pour détester, pour prendre des décisions… Ils en font trop, ils sont trop fiers, ou trop timides, trop violents ou trop calmes. Ils sont presque toujours trop impatients… Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Bien sûr, le langage est des fois difficile, mais après tout, vous parlez entre vous un langage assez compliqué pour que les adultes n’y comprennent rien alors, ce ne sont pas quelques petits alexandrins qui vont vous faire peur. Si vous regardez ces personnages de théâtre vivre, peut-être que ça vous aidera à vous comprendre mieux. Belle année, belle vie, et soyez raisonnables le plus tard possible. Gilles, au collège Anne Franck de Montchanin, 14 octobre

 
 
 

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