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Photo du rédacteurGilles Cailleau

Il me faudrait beaucoup plus qu'un édito

Il me faudrait beaucoup plus qu'un éditorial pour vraiment en parler, mais il me semble que ce qui a changé en quelque temps sur la façon qu’ont certains d’exercer le pouvoir, c’est qu’ils ont eu l’intelligence d’ôter aux gens le pouvoir de la prise de conscience. Les oppresseurs de tout nature (politiques, économiques, moraux ou religieux…) ont toujours eu une longueur d’avance. Ils mettent en place un système et profitent de l’inconscience ou de la méconnaissance du plus grand nombre pour exercer leur pouvoir, en drapant ce système d’une valeur qui le justifie. Et, si je ne m’abuse, c’est toujours par la prise de conscience du mensonge que constitue cette soi-disant valeur, qu’ont commencé toutes les révolutions et toutes les évolutions (qui se résume souvent à cette question : « Suis-je vraiment, comme on me le fait croire, moins que l’autre, est-ce que je ne vaux pas mieux que ce qu’on me dit ? »)


Seulement, cette fois-ci, c’est plus grave. C’est en regardant la télévision (vous savez, presque tout le temps en tournée, je regarde la télé de 6 mois en 6 mois, alors ses évolutions me frappent plus que si je la voyais tous les jours), c’est en regardant la télévision, disais-je, que je me suis rendu compte de cela. Si ceux qui présentaient Loft Story il y a quelques années revendiquaient pour l’émission une valeur culturelle, ceux qui présentent aujourd’hui La ferme en avouent sans aucun complexe la vacuité. Ce qui revient à dire aux téléspectateurs : « Vous regardez une émission indigente, vous le savez, et donc, vous ne valez pas mieux ! » Mais la télévision n’est que le signe d’un processus général. Il suffit d’aller dans les lycées parler avec des élèves pour s’apercevoir combien ils ont assimilé l’idée qu’ils ne valaient pas grand-chose. J’en ai fait toute l’année l’expérience. Et j’ai vu leur surprise désabusée lorsque je le parlais de leur intelligence, de leur capacité à partager, à s’émouvoir, à donner et à recevoir. On pourrait dans le même ordre d’idée se désespérer de la facilité qu’ont eu certains à nous persuader de notre égoïsme pendant la canicule… la liste est longue.


Ainsi, les oppresseurs d’aujourd’hui ont compris qu’il était beaucoup plus productif, plutôt que d’établir un système de valeur leur étant profitable, de laisser les gens s’auto-dévaloriser, et ainsi, se jugeant indigne, d’accepter toutes les formes de dominations. Car quand quelqu’un dit : « Je sais, ce que je fais ne vaut rien, ce que je regarde ne vaut rien, ce que je mange ne vaut rien… je sais », comment voulez-vous qu’il trouve une quelconque injustice à être bafoué, spolié, exploité, battu… Alors, je ne sais pas si le théâtre sert à quelque chose. J’inclinerais même à penser qu’il ne sert pas plus qu’un plombier sur une installation vétuste, c’est-à-dire à retarder le moment où il faut la changer. Mais si le théâtre a un sens politique (car avoir un sens et servir à quelque chose ne vont pas forcément de pair), c’est bien de révéler aux gens leurs propres qualités, leur faculté à s’émouvoir ou à penser, leur faculté à fraterniser.


Gilles, la Garde, 4 juin 2005

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