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Gilles Cailleau

Gilles Cailleau

C’est Gilles qui parle : Je suis né dix-neuf ans après la guerre. Comme c’était en plein baby-boom, l’école était en construction et ma première salle de classe a été une roulotte de Tziganes déportés, qu’on avait réquisitionnée pour l’occasion. Prédestiné à la vie nomade… C’est en voyant à 20 ans ‘Liberté à Brême’, ‘Léonce et Lena’ et ‘le Songe d’une nuit d’été’ monté par Jean-Louis Hourdin, ou les quarante moutons qui couraient sur la scène du théâtre dans le Marivaux mis en scène par Robert Gironès, c’est en jalousant cette phénoménale liberté que j’ai sauté le pas. Je suis alors devenu et presque en urgence comédien dans une troupe, un peu sur un malentendu. Le metteur en scène m’a dit – Tu joues mal, mais comme tu sais faire un saut périlleux, je t’engage. Mon premier metteur en scène n’avait pas tort. J’étais au début un très mauvais acteur. Je pensais trop. C’est pour ça que je suis devenu régisseur, éclairagiste, chauffeur routier en même temps que comédien. Je jouais beaucoup mieux en état d’épuisement, quand j’avais passé la journée ou la nuit dans les échelles. Il m’a fallu presque dix ans pour apprendre à ne plus penser sur un plateau. On met du temps à savoir quel acteur on est. Au début, on croit que c’est pour tout le monde pareil, un désir d’incarnation. J’ai formulé pour moi-même confusément d’autres désirs, ou plutôt le désir d’autres spectacles. C’est comme ça que je suis devenu metteur en scène et pédagogue, pour regarder. Pour chercher ce qui me nourrissait vraiment. C’est comme cela, en regardant de jeunes acteurs, et aussi des artistes de scène ou de piste non comédiens, et qui n’avaient pas nos routines, nos tics, nos règles de théâtre, que j’ai commencé à élaborer obscurément l’esthétique que je poursuis depuis avec ma compagnie, Attention Fragile. Le mot même de spectateur ne me suffisait plus. Qui est-on devant ce qu’on regarde ? Un voyeur, un juge, un témoin, un frère, un exclu ? Je voulais explorer cela. Et je souffrais aussi de ce que les spectateurs justement ne se rendaient pas compte de leur propre lumière, de leur courage, de leur singularité. En même temps, j’avais acheté un tracteur agricole, et je faisais le tour de la France avec une roulotte accrochée, en me disant que j’y apprendrais une certaine forme de patience et de relativité. Cela faisait quatre ans que j’écrivais, mettais en scène des spectacles qui me plaisaient mais à moitié seulement et puis j’ai créé le Tour complet du cœur, accompagné à la Mure d’Isère par un unique coproducteur. C’était en 2002 et ce spectacle m’a apporté les réponses sur la nature du théâtre dont je rêvais. Mais au lendemain de la première, je me suis dit que la pire chose serait d’en rester là. Il fallait que j’écrive autre chose, que je parle d’ailleurs. Cet ailleurs, je l’ai trouvé au cirque et chez les autres. Au cirque, parce que venant du monde des mots, les corps amènent mon langage dans l’inconnu. Et aussi parce qu’au cirque, le risque n’est pas métaphorique et qu’on y explore un autre rapport à la vérité. Chez les autres, parce qu’en appuyant l’écriture sur la rencontre avec un autre, là encore on est forcé de se déplacer.

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