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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

The place to be

Sur la route de Montpellier que j’emprunte assez souvent, il y a un endroit précis où lorsqu’on écoute France Inter, l’autoradio sans demander saute sur Rire et Chansons. C’est une expérience traumatisante. Il faudrait s’en souvenir et s’y attendre, mais je l’oublie à chaque fois, comme l’autre jour où, allant à La Roche-sur-Yon, je passais par Montpellier.

Survint Rire et Chansons, la radio du rire. Une voix de jeune femme disait au début d’un sketch (je cite de mémoire) : « des fois je joue dans des endroits perdus, des endroits, je ne sais même pas que ça existe, je joue devant des gens âgés, très âgés, usagés… » Cela ne m’a pas fait rire, mais je lui fais crédit. Sans doute dans son esprit s’agissait-il d’autodérision, elle voulait nous rappeler qu’elle était encore loin de la gloire, mais ce faisant elle participait à une entreprise dont on se passerait bien. Elle n’est pas seule dans ce cas-là et dès qu’une émission de radio se délocalise, aussitôt les humoristes de service nous servent du vous êtes si loin, je me suis perdu pour venir, et s’amusent s’ils sont au nord des relations consanguines des gens du cru, de la mafia s’ils sont au Sud, d’alcoolémie s’ils sont à l’ouest et à l’est, de consommation excessive de charcuterie. Tout va bien puisqu’ils finissent toujours par un Provinciaux (vous remplacerez par le gentilé de la ville concernée), je vous aime !

Idem quand un acteur annonce qu’un spectacle se rode en tournée (bienvenu dans nos 643 595 km2 d’espace de rodage) ou pire, qu’il se croit obligé de préciser que dans les villes où il va jouer, il se passe parfois des choses formidables (dont sa propre venue, je suppose).

S’il ne s’agissait de dérision ou d’autodérision sur des supposés particularismes régionaux, ça ne serait pas bien méchant, juste raciste et bête, et étonnant de la part de personnes qui répètent à tout va qu’ils n’aiment pas qu’on les mette dans une case. Mais cet humour géographique témoigne en fait du dédain habituel que des gens portent à ceux dont ils pensent qu’ils ne sont pas à l’endroit qu’il faut. Et ce dédain, ceux qui en sont victimes finissent par y souscrire. Ils croient effectivement qu’ils ne sont pas au bon endroit.

Tout cela, on en parle depuis 40 ans, sans que cela bouge dans la tête des uns ni que cela nous empêche finalement de travailler. Nous pourrions continuer à en rire si ce dont les gens souffraient le plus aujourd’hui, ce n’était pas, justement, de ce sentiment périphérique.

Ce n’est pas une simple histoire d’opposition Paris/Province : d’où qu’ils soient, les gens se sentent à la périphérie, ceux qui habitent en banlieue vis-à-vis du centre-ville, ceux des petites villes vis-à-vis des grandes, ceux des villages vis-à-vis du bourg. C’est le complexe du rat des champs : quoi qu’on fasse et d’où qu’on soit, on s’estime à l’écart d’un ailleurs enviable. Ce n’est pas nouveau, mais la vie moderne, à la fois avec l’écart grandissant des inégalités et la dictature des réseaux (quoi de plus excluant qu’un réseau ?) démesure ce sentiment.

Cela pourrait fabriquer de la révolte, ce ne serait pas si mal, mais cela génère plutôt du ressentiment ou de la résignation.

J’enfonce des portes ouvertes, mais c’est que notre profession, qui parle sans arrête de partage et de rencontre, a en la matière un train de retard. Sans doute parce que notre modèle de réussite artistique consiste à traverser un à un des cercles concentriques pour nous rapprocher de l’endroit où ça se passe. En termes d’analyse de territoire, nous sommes restés très binaires, il y a les théâtres et les banlieues. Si nous avons travaillé dans les deux, nous avons réussi notre grand œuvre.

Alors si nous voulons nous prévaloir d’un peu arranger les choses (vous remarquerez que je n’ai pas parlé de changer le monde, juste d’arranger un peu les choses) il faut commencer par travailler là-dessus, regarder les choses à l’horizontale et considérer autrement la singularité des endroits où on joue.

L’égalité ne doit plus être notre sujet, elle doit être la matière de notre métier.

Gilles, à Nice, le 13 novembre, juste avant d’aller répéter.

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