Aux dernières nouvelles, il y a donc sur la planète plus de gens qui souffrent de surpoids que de gens qui souffrent de malnutrition. 1 milliard d’humains trop gros. 300 millions d’obèses !
C’est une nouvelle étrange, et finalement, contre laquelle la raison se révolte un peu. On n’arrive pas à y croire.
C’est peut-être parce qu’il y a plus de désespérance à penser le monde des repus que celui des affamés.
Car on peut espérer pour tous ceux qui ne mangent pas assez un avenir plus clair (c’est en tout cas une perspective politique, humaniste de justice et d’équité), mais de quel avenir disposent ceux qui ont trop mangé, qui ont, d'une certaine manière, dépassé leurs aspirations, épuisé leur espérance.
Que les gens soient trop ou trop peu nourris, c’est toujours une histoire de faim. Une histoire de vide. De manque.
L’histoire aussi de deux pauvretés.
Et si certains trouvent abusif, voire scandaleux, de rapprocher ces deux indigences, celle du trop vide et celle du trop plein, on peut rappeler, justement, que cette obésité latente ou déclarée frappe d’abord, au cœur des pays riches, les pauvres, prolos, surendettés, chômeurs…
Quel vide remplissons-nous ainsi à nous goinfrer ?... Tout cela a comme un goût de fin du monde.
Au reste, j’avais prévu d’écrire un tout autre édito, après avoir fait un rêve.
C’était après les élections de mai, et petit à petit le dispositif se mettait en place. Le ministère de la Culture disparaissait, remplacé par un sous-secrétariat d’état aux affaires culturelles. Très vite, les Directions Régionales de la Culture disparaissaient aussi (ça, ce n’est presque plus un rêve), bien sûr, on transmettait un peu d’argent de cet ancien appareil aux régions autonomes , mais cette disparition de l’identité culturelle donnait des idées à d’autres : disparition quasi générale des directions des théâtres, programmation reprise en main par des élus, puis confiée par leur soin à des producteurs privés remplissant des salles de choses vues à la télé, ou dans les grandes salles parisiennes... Et ça et là (heureusement, il y en avait aussi dans mon rêve), des poches de résistances, quelques endroits où des gens, politiques ou civils, croyaient encore aux vertus de la création.
Oui, c’était de ce rêve que je voulais parler dans cet édito mal ficelé, de ce rêve certes un peu naïf et grossier, et dont peut-être les simples spectateurs ne perçoivent pas la violence (la disparition des DRAC, en quoi ça me concerne ?), et non de la faim qui empêche une partie de la planète de se nourrir, et pousse une autre partie à la boulimie.
Mais à y bien réfléchir, il y a fort à parier que ces deux histoires racontent exactement la même chose et que petit à petit, la raréfaction de la création et des éclats libres et lumineux de l’imaginaire, le vide laissé à l’homme par l’écrasement lent et méticuleux des âmes, l’uniformisation des pensées et des émotions, offertes à nous comme des produits de catalogues, nous appauvrissent à ce point que nous n’ayons plus d’autre solution que de nous empiffrer.
Oui, toute cette machine de guerre visant à nous vider petit à petit, nous assécher, nous désemplir d’humanité, laissant en nous une faim si démesurée, un appétit si inapaisable, ayant mutilé en nous jusqu’à la connaissance de notre vrai manque, en ne nous en ayant laissé que la conscience continuellement douloureuse, il y a fort à parier que nous n’aurons, comme issue dérisoire à notre faim que d'errer, vides, perdu et obèses, dans les rayons croulants de nourriture, remplissant encore et toujours nos caddies,
Gilles, Sotteville-lès-Rouen, 6 octobre.
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