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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

Bons baisers de Auch

Cher Philippe, cher Stanislas,

D’habitude c’est en vacances qu’on écrit des cartes postales, moi je vous fais une lettre de rentrée pour vous donner des nouvelles du chapiteau que vous venez de monter à Auch.

Vendredi dernier, il s’est transformé en mosquée !

Vous avez peut-être entendu ou vu ou lu les infos : des imbéciles ont fait brûler la mosquée d’Auch, la mosquée érigée dans le quartier du Garros, avec sa coupole rose et son petit minaret. Alors j’ai proposé que le vendredi (jusqu’à ce qu’on trouve une meilleure solution) les musulmans de la ville viennent prier sous le chapiteau. Tout le monde a dit oui et maintenant, le technicien travaille pieds nus pour installer le micro de l’imam…

Je voulais vous le dire, parce que je crois bien que vous comme moi, nous sommes très athées, et puis, vous pourrez le mettre dans votre CV : bâtisseur de mosquée.

À part ça, je suis allé voir hier le dernier spectacle de Bartabas, et j’en suis ressorti terrifié.

C’est une question qu’il faudrait urgemment se poser : quelle responsabilité avons-nous sur la résistance de l’ordre ancien du monde (nous qui prétendons l’inquiéter), quand notre activité artistique enfonce les gens qui viennent nous regarder dans le sentiment de leur propre incapacité à faire de belles choses ?

Ce qui se traduit par la phrase toute simple qui s’entend au sortir d’un spectacle: – « Vous avez tellement d’imagination, vous, les artistes. »

Notre travail est-il de privatiser à notre profit l’imaginaire des gens en les persuadant qu’ils en sont dépourvus ? Suis-je créateur pour rendre autrui dépendant de mes propres rêves ?

L’industrie de Bartabas fait de ce fossé entre les gens normaux et lui le créateur un abîme. On le voit se promener dans son spectacle en admirant son propre imaginaire.

Comme si ça ne suffisait pas, il a construit le tout comme une pyramide, 1300 personnes regardent 9 cavaliers habillés tous pareils, qui eux-mêmes le regardent lui tout seul. Au salut, son bras tendu vers ses équipiers est un mensonge éhonté. J'avais l'impression de regarder le Lac de Cygnes. Ce vieux théâtre est mort, mais il bouge encore.

Heureusement, un cheval a pissé sur la piste brune pendant l’air d’une cantate baroque catalane. La seule surprise de l'entreprise.

À la fin je suis las de ce théâtre ancien, je me demande où j’y prends ma part, je m’en inquiète, je voudrais bien échapper à ce pire.

Le théâtre nouveau qui viendra naîtra sans doute de la disparition de la valorisation à l’extrême du créateur, afin qu’on ne le voie plus planant au-dessus de nous, mais ici, parmi les hommes.

Pour finir ce courrier qui ne tient pas à l’arrière d’une carte postale, demain, la communauté musulmane revient prier sous le chapiteau.

Pendant qu’ils étaient là la semaine dernière, une dame qui promenait son chien a marmonné : – « Maintenant qu’ils sont tous dedans, c’est le moment de foutre une bombe. »

Il est temps de faire autre chose que d’écrire des élégies.

À bientôt, bons baisers de Auch.

Gilles, le 3 septembre.

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