Bruno Mégret me manque. Il avait avec son épouse inventé un endroit merveilleux, et merveilleux pour une raison très simple, c’est qu’on n’y habitait pas.
Je dis ça en connaissance de cause. Lorsque Catherine Mégret est devenue maire, J’étais en résidence à Vitrolles depuis un an et j’ai vécu avec mes camarades les lettres anonymes, les coups de fil inquiétants, les vols, les dégradations… À Fontblanche, centre culturel historique, nos voisins de palier s’appelaient Massilia Sound System, un peu plus loin, le cinéma arts et essai, l’équipe du Sous-marin, la médiathèque… On a fait nos bagages, tous, les uns après les autres, sous la contrainte ou de plein gré et on est allé plus loin. Plus de Vitrolles, plus d’odeurs nauséabondes. De temps en temps, à l’abri, on regardait cette ville survivre.
Et puis un jour, ils sont partis. Les loups entrés dans la ville, qui avaient réduit Vitrolles au silence sont partis, et bien sûr, si de la vie culturelle il ne restait que des ruines, et dans la vie sociale des plaies, c’était fini, la vie allait pouvoir reprendre.
Je me souviens très bien des arguments du Front National (puis MNR) pour casser les propositions culturelles de l’époque et les remplacer par des farandoles provençales. C’était « trop d’élitisme », c’était « trop déficitaire », c’était aussi la volonté d’avoir droit de regard et de véto sur la programmation des spectacles…
Seulement, tous ces arguments qu’à l’époque, nous et les politiques, nous réfutions avec certitude comme appartenant à une idéologie populiste à l’extrême, ce sont les mêmes que presque tous les élus nous ressortent aujourd’hui, comme des arguments de bon sens.
La raison majeure qui obligeait Maud, alors directrice du théâtre de Vitrolles, à démissionner, à savoir que la mairesse voulait avoir le contrôle de la programmation, cette même raison, si elle s’appliquait aujourd’hui, pousserait une majorité de directeurs de lieux ou de services culturels à la même démission.
Cette idéologie exempte de réflexion, s’appuyant uniquement sur des principes démagogiques et faisant de la liberté ou de l'audace artistique un de ses boucs émissaires, auparavant circonscrite dans des laboratoires d’extrême droite, s’est maintenant répandue partout. En guise de dialogue avec leurs élus, les responsables de lieux reçoivent des notes : Prière d'insérer dans votre programmation tel ou tel spectacle.
Ce qui permet aujourd’hui à la municipalité socialiste de Vitrolles de se désassocier du centre culturel des Pennes-Mirabeau (créé justement pour lutter contre le désert promis par les Mégret) et d’un projet qu’elle juge justement trop élitiste, trop coûteux, pour créer une sorte de « centre des cultures méditerranéennes » bien plus consensuel. (D’ailleurs, on se rappelle qu’une des premières mesures culturelles des Mégret avait été de rebaptiser Vitrolles : Vitrolles-en-Provence… Ah ! la méditerranée, ah ! La Provence, voilà des valeurs avec lesquelles on ne risque rien.) Parallèlement à ça, un élu de cette même ville peut déclarer dans la presse sans douter le moins du monde de l’énormité de ses paroles (je cite de mémoire) : – « Bien sûr, les spectacles que nous proposerons aux enfants n’auront pas la qualité qu’ils avaient jusque là, mais ils ne coûteront presque rien. » Là, c’est sûr, aucun soupçon d’élitisme.
Vitrolles n’est ici qu’un exemple de ce qui se passe partout.
Résumons-nous donc, ou plutôt, résumons l’opinion répandue : 1° Est élitiste tout ce qui n’est pas connu (que n’existe-t-il pour les spectacles des dégustations à l’aveugle !). 2° Est trop coûteux tout ce qui ne rapporte rien. 3° Il faut se défier de ce qui peut déplaire à certains, et préférer ce qui par nature plait à tout le monde. 4° Il faut s’occuper de ce qui nous préoccupe. Comme un élu se préoccupe de culture, il doit s’en occuper lui-même, d’autant plus que désigné par le peuple, il est donc le reflet de ses goûts (je suppose qu’au même et à juste titre, préoccupé par les rues de sa commune, il devrait en refaire le bitume lui-même).
Avec un tel bréviaire, que ne renierait aucun ministre de la propagande, on imagine ce qui nous attend.
Nous habitons tous à Vitrolles, on est le 7 février 1997, lendemain d’élection municipale. Il ne fait pas beau.
Gilles, dans les Pyrénées, le 7 février.
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