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Photo du rédacteurGilles Cailleau

De la jalousie

À rencontrer souvent des programmateurs, des organisateurs, tous gens qui se démènent pour que du théâtre existe, je les entends souvent s’interroger sur l’angoisse de la salle vide, se demander pourquoi il est si difficile de remplir des salles, et en ce qui nous concerne, cette même angoisse a contribué sans doute à l’élaboration de tout-petits lieux, heureux stratagème qui fait qu’ils sont souvent pleins – comme ça fait du bien ! Mais ce qui m’étonne plutôt, ça n’est pas la désertion des théâtres, c’est que des gens y soient venus, viennent encore dans ce lieu désuet et charmant qu’est un théâtre, alors que tant de choses, la fatigue, les enfants, l’argent, la télévision (et je ne parle que des choses réellement passionnantes qu’on peut y voir)… tant de choses, disais-je, devraient les dissuader de venir. Cette présence précieuse des quelques-uns qui sont là m’émerveille à chaque fois. Par quel miracle sont-ils venus ?


Je lisais l’autre jour les résultats d’un sondage d’où il apparaissait que la hantise principale de nos concitoyens était de parler en public et cela m’a fait tilt ! Déjà qu’à regarder les enfants jouer, je me demandais souvent par quel mystère autant d’entre nous renonçaient au théâtre, qui leur semble si naturel étant encore enfant. Cette relation douloureuse à la prise de parole publique, mise en lumière par ce sondage, me donnait un embryon de réponse. Car justement, cette prise de parole publique est notre métier. Comment alors s’étonner que par un réflexe sain, les gens se protègent en fuyant les théâtres, et n’aillent pas se mettre en face de ce qui leur fait mal. Et même, n’est-ce pas une secrète jalousie qui les retient, alors que petit à petit, balançant entre leur envie et leur peur, ils ont renoncé à l’exercice héroïque et jubilatoire du théâtre ?


Moi-même, si je me souviens bien, c’est cette même jalousie, cette envie d’être de l’autre côté (qui me faisait parfois détester les acteurs que j’admirais) qui m’a poussé à devenir acteur. Et je peux supposer que si la vie m’avait amené ailleurs, je déserterais maintenant moi aussi les théâtres, pour ne pas me faire mal. Et peut-être cette envie, ce besoin, ce désir ou cette aversion pour le théâtre venaient de la façon que chacun a de vivre cette jalousie envers ceux qui eux, s’emparent de la parole en public.


Quand je parle de jalousie, c’est évidemment sans donner aucune connotation négative à cette passion, qui peut nous entraîner autant à nous dépasser qu’à nous détruire, et il n’y a non plus aucune espèce de mépris de ma part envers ceux qui n’ont pas choisi la voie du théâtre. Et loin de moi l’idée d’élaborer en quelques mots une psychologie du spectateur. Mais je me dis que venir au théâtre n’est pas un acte simple, que ce n’est pas seulement un spectacle qu’on va voir, mais toujours un peu de soi-même, et que, plutôt que de se plaindre que si peu viennent nous voir, il faut se réjouir à chaque fois que des gens aient assez de joie, de courage ou de sérénité pour venir assister seulement (en langage amoureux, ça s’appellerait « tenir la chandelle ») à quelque chose auquel ils ont tous, à un moment ou à un autre de leur vie, rêvé de participer.


Gilles, à Marseille, le 10 octobre.

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