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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

Putain ça penche

C’était un soir de départ en vacances et sur la place où on s’était installé, il y avait le bruit incessant des voitures. Tellement de bruit à ce rond-point ! Je jouais sans m’entendre, je ne pensais qu’à ce bruit-là. J’avoue, j’étais de mauvaise humeur. En face, les spectateurs avaient l’air de s’amuser, le bruit ne les gênait pas vraiment, mais moi… Vrouououm, vroaaar, Hiiiii, vrouououm… Je n’entendais que ça.

Entre 2 scènes je me suis arrêté. Stupeur et tremblement. J’ai dit : — Désolé, je sais bien que ça ne se fait pas, mais le bruit dehors m’empêche de m’amuser. — Quel bruit, le bruit, vous nous le faites oublier ? C’était gentil, j’aurais dû me contenter du compliment, au lieu de cela j’ai dit — C’est encore pire, vous voir vous amuser quand moi je suis à la peine… j’ai l’impression de vous mentir, de simuler. Jouer ce n’est pas un challenge. Je veux un plaisir partagé.

Il régnait entre nous un silence gêné. Je savais bien que je venais de faire une bêtise, les spectateurs avaient l’air de comprendre quand même. J’ai dit — Je vais reprendre. Je voulais juste vous dire cela, partager ce bruit autant que le jeu lui-même.

J’ai repris. On a fini le spectacle ensemble, dans cet endroit hostile au rêve et à la légèreté.

C’est idiot, mais je crois que c’est ce moment d’acteur qui m’a permis de continuer, de me dire qu’on pouvait s’arrêter quand on voulait, du moment qu’on partageait la peine, ou le sentiment d’être piégé.

Hier je suis allé chez le boulanger, c’est la boulangère qui m’a rendu la monnaie, enfin ce n’est pas elle, c’est une machine, on met un billet, il ressort des pièces. Je lui ai demandé — Ça vous plait ? Elle m’a répondu — Non mais qu’est-ce que vous voulez, il faut bien se mettre au progrès. Je me suis retourné, j’ai posé la même question aux 6 clients qui me suivaient, ça ne leur plaisait pas non plus.

À la fête de l’école du quartier, on a plus le droit d’apporter des gâteaux qu’on a faits soi-même. Il faut les amener emballés sous vide. Même question : — Ça vous plait ? — Non. —Pourquoi on le fait quand même ?

Des exemples comme ça, j’en ai à la pelle. Tout se passe comme si le monde qui s’invente ne plaisait à pas grand monde, ni dans ses détails ni dans ses grandes lignes. Ce mur nous plait ? Et ce canal en hiver bordé de tentes ? Ce ciel qui s’assombrit ? Ces fumées jaunes ? Ce hamburger qui ne loge pas dans ma bouche ? Et ce pantalon cousu par un gosse, qui m’oblige à le porter ?

Je sais, ça penche ça va vite, on essaie de nous faire croire à notre propre impuissance. On n’a pas le choix, c’est la phrase qu’on entend le plus, et plus encore depuis ces 3 derniers mois, mais puisque ça ne nous plait pas, putain, pourquoi on y va quand même ?

Gilles à l'Abattoir, Chalon-sur-Saône.

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