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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

SOS Amor

Amis spectateurs, ou simplement amis, pardonnez pas avance ce SOS aux accents corporatistes, mais j’ai perdu un ami.

Quand je dis que je l’ai perdu, je l’ai vraiment perdu, je ne sais pas où il est.

Enfin, quand je dis que je ne sais pas où il est… Je sais où il est, il n’a pas disparu. Mais je n’ai plus de nouvelles. À bien y penser, c’est lui qui m’a perdu. J’ai disparu de ses écrans radars. C’est arrivé d’un coup. Je venais donc de jouer 15 jours chez lui (je ne vous ai pas dit, c’est un directeur de théâtre), on venait de passer 15 jours formidables ensemble, tout s’était bien passé, enfin je crois, et puis plus rien… Plus rien depuis deux ans. Je lui ai donné des nouvelles, envoyé un courrier professionnel d’abord. Pas de réponse, ce n’est pas grave, c’est un courrier professionnel.

Et j’avoue que je suis très prudent avec les amitiés que je noue avec des directeurs et des directrices de théâtre, je ne voudrais pas qu’après ils se sentent obligés à quoi que ce soit. D’ailleurs je dis je mais c’est nous qu’il faut dire : Patou et moi, la compagnie, on est très prudent avec nos amitiés professionnelles. C’est d’ailleurs à ça qu’on reconnait cette amitié qui nous unit, nos liens ne nous obligent pas à nous dire oui, et surtout n’obligent personne à acheter un de nos spectacles.

Je reviens à mon ami perdu. J’insiste un peu, « tu as reçu mon courrier, qu’est-ce que tu en penses ? », pas de réponse… Un mois après, Gilles : – « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? Ce n’est pas pour le spectacle, je veux juste savoir comment tu vas. » Pas de réponse, pas de réponse… Un ou deux mois après, Gilles : – « Je m’inquiète, dis-moi que tout va bien. » Pas de réponse… Je change de téléphone, je prends son autre numéro, je passe par le standard du théâtre. Rien. Depuis deux ans, plus rien.

On a mangé ensemble, on a rêvé ensemble, on a bien rigolé, merde… Qu’est-ce qui se passe ?

J’ai deux solutions qui me viennent à l’esprit, la première est toute simple, c’est le manque de temps. Mais quand même, un tout petit texto : Lui : – « ça va ! et twa ça va ? » 15 lettres !

La deuxième réponse qui me vient à l’esprit est un peu plus perverse: je suppose qu’il n’a pas trouvé d’intérêt ou de sens, pour son théâtre à lui, d’aider cette création que je lui proposais, alors il préfère ne rien dire. Mais quand même, on a mangé ensemble, on a rêvé ensemble, on a bien rigolé… Je ne sais pas, un tout petit texto. Lui : – « Dsl. Pas de possibilité de t’accueillir. À part ça, ça va twa, moi ça va. »

Ce n’est pas la première fois que j’éprouve ce pincement au cœur. Je suis allé 13 ou 14 fois à Avignon, comme comédien, Metteur en scène, directeur technique ou simple spectateur et j’ai remarqué que je n’arrivais à m’asseoir au bar avec un(e) de mes ami(e)s directeur(rice)s de théâtre que les années où je ne présentais pas de spectacle. Ces années-là, comme on a parlé ! Mais les années où un de nos spectacles se jouait, impossible de trouver une minute.

Qu’on ne se méprenne pas, si je suis triste de l’intermittence de nos amitiés, je le suis d’autant plus qu’elle me parait le signe d’une relation professionnelle terriblement viciée entre ceux qui font des spectacles et ceux qui les accueillent. Je n’en exonère pas les artistes, nous y avons tous notre part, et je ne voudrais pas être à la place de celui qui doit faire la part entre les sollicitations des élus, des spectateurs, de son équipe, des artistes et de ses propres envies ou certitudes.

Mais cette sorte de double solitude que nous éprouvons, chacun de notre côté, pourrait se dénouer si on acceptait, plutôt que de s’enfermer dans cette relation de client à marchand, dans une vraie collaboration, qui finalement ne ferait que témoigner de ce qui nous fabriquons ensemble.

Au reste, je m’excusais au début de ces lignes de la nature un peu corporatiste de cet appel, mais je crois que les spectateurs sont hautement concernés par l’apaisement de nos relations internes à nous, les fabricants d’art, car nous le sommes autant, organisateurs ou producteurs, œuvrant au même édifice.

J’ai perdu un ami. S’il lit ses lignes, s’il se reconnait, qu’il m’appelle, juste pour me dire qu’il va bien et qu’il se souvient qu’il n’y a pas si longtemps, on a mangé ensemble, on a rêvé ensemble, on a bien rigolé et on a fait ensemble, d’assez belles choses…

Gilles, à Laon, samedi 11 juin.

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