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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

Terra incognita

J’adore les adolescents. Je les idéalise parfois, et ils m’énervent aussi souvent, mais à chaque fois que je les rencontre, notamment avant ou à l’issue d’un spectacle, je passe des moments réjouissants, moi qui suis enclin à désespérer du monde. Tenez… Ceux d’entre vous qui me lisent des fois savent que je ne crois pas le théâtre éternel, et que je taxe assez souvent mon propre art de désuet, et bien nous parlions de cela l’autre jour dans une classe où je demandais à des élèves s’ils allaient de temps en temps au théâtre. « Jamais ! — Pourquoi ? — C’est ringard. C’est pour les vieux. » Et je les comprenais ces gosses, de trouver le théâtre démodé, au regard de la modernité du monde. C’est de cela qu’on a parlé, de modernité, et on s’est amusé à dessiner le monde de demain, pour voir ce qui « in » aujourd’hui serait « has been » demain. Ce n’était qu’un jeu. On s’est projeté dans une centaine d’années, très exactement, on a imaginé un cours d’histoire en 2113 portant sur le début du siècle, et étrangement, alors que moi-même je ne m’y attendais pas, on est tombé d’accord. On a imaginé eux comme moi les élèves incrédules en apprenant qu’en 2013 on faisait tourner des formules 1 sur un circuit en brûlant du pétrole pour le simple plaisir de voir des voitures se doubler, leur incrédulité encore en pensant qu’on avait pu un jour chasser des baleines, se battre pour une religion, ou manger un hamburger par jour. On s’est rendu compte du regard condescendant que nos arrières petits enfants porteraient sur tout ce qui nous parait à la pointe technologique, de leur désapprobation quant à notre utilisation du monde, de nos ressources, de notre acceptation des inégalités, il y en a même eu plus d’un dans la classe pour avouer qu’une révolution mondiale était inéluctable, et que s’ils ne s’en sentaient pas capables aujourd’hui, ils la désiraient vraiment. Cette simple discussion aurait suffi à me redonner la forme, mais il fallait bien à un moment parler un peu de théâtre puisque tout était parti de là, de mon métier de vieux, qui n’intéressait plus personne, et là on est encore tombé d’accord, et je crois encore à notre propre surprise à eux et à moi, en 2113, on ne se nourrirait dans doute pas pareil, le capitalisme serait peut-être mort, et les ordinateurs peut-être pucés dans nos bras et les téléphones dans nos oreilles internes, les spectacles seraient sans doute en 8 dimensions, mais il y aurait toujours des gens assez naïfs pour se mettre, sans autre artifice qu’un costume et qu’une envie de jouer, dans la peau d’une autre personne et raconter des histoires à d’autres venus les voir et les écouter. Gilles, 10 février, à La Valette-du-Var.

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