Les occasions sont trop belles, les sonneries aux morts consensuelles aux écrivains et aux chanteurs, cette idée de loi contre l’usage du tabac dans les films... tout invite à l'éditorial agacé. Mais bon, tout le monde en parle alors j’y renonce. On me laissera seulement ajouter que cette idée idiote d'interdire les fumeurs dans les films en dit long sur la défaite qu’on prête à l’éducation (voire à la civilisation). Si on pense qu’après 16 ou 20 ans passés à grandir et à apprendre, quelqu’un peut se mettre à fumer rien qu’à voir un personnage en 2 dimensions faire la même chose...
Comme si l’éducation, dont le dessein ne devrait tendre qu’à nous fournir les outils nécessaires à l’exercice de notre libre arbitre, travaillait en réalité à nous en priver.
Je m'arrête là sur ce sujet, causons d’autre chose.
J’ai pris une grande décision, avant même les bonnes résolutions du Nouvel An : je ne remplirai plus aucun formulaire me demandant mon avis sur un restaurant, un hôtel, un service client. Même pas un commentaire élogieux, n’en déplaise aux relances incessantes de messageries automatisées. Comment, vous n’avez pas encore évalué notre établissement, et Fred, notre livreur de sushis, comment l’avez-vous trouvé, était-il en tout point parfait ? C’est un engrenage diabolique, un vertige, une invasion barbare.
Et encore, je ne parle ici que des commentaires commerciaux dont on nous invite à grossir le flot. Pour ce qui est des commentaires qui suivent chaque article de journal ou chaque tweet, ce n’est rien moins qu’une autre invasion barbare, une mutilation du dialogue et de l’esprit. Les avis font force de loi en lieu et place de la pensée.
J’ai cédé une fois à l’envie de commenter un article. Mal m’en a pris. J’avais eu le malheur d’oublier une majuscule, et par la même étourderie, d’en ajouter une à un nom commun. Un commentaire assassin à mon commentaire m’a accusé de renverser les valeurs et m’a taxé d’extrémisme de droite.
Pour ce qui est des avis qu’on me demande à la sortie de chaque restaurant ou autre pourvoyeur de service, j’aurais l’impression à chaque fois de participer à une entreprise de surveillance.
Je suis conscient que je vis moi-même de commentaires, d’applaudissement et autres réflexions sur ce que je viens de faire, et cela complique un peu ma décision péremptoire. Je serais malheureux si personne ne me disait ce qu’il a pensé de ce que je lui ai montré. Mais bon, il y a une différence entre une discussion humaine et un questionnaire. Je ne demande pas aux spectateurs de remplir une enquête de satisfaction.
Depuis peu, j’étends cette résolution à mes propres pratiques. À la fin du Nouveau monde, je pose des questions aux spectateurs et je les enregistre. Depuis quelques représentations, j’enjoins tout le monde à ne réagir aux réponses de personnes, « Pendant quelques minutes, écoutons les gens sans faire aucun commentaire, même positif, même dithyrambique, écoutons juste ce que dit quelqu’un » Quelques uns m’opposent qu’un commentaire positif est encourageant. « Et si, leur répondé-je, ils coupaient l’herbe sous le pied de ceux qui n’ont pas encore parlé ? S’ils les intimidaient par avance ? »
Alors pendant les 10 minutes que dure cette prise de parole commune, quoi que disent ceux qui prennent la parole, personne ne dit ni Aaaah :) ni Ooooh :(
Petit à petit, le calme s’empare de l’assistance, un repos nous envahit tous.
Gilles à Saint-Denis de la Réunion, le 3 décembre.
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