Je vais faire court. On a tous nos cadeaux à faire et le froid nous a fatigués.
Je viens de mettre à jour un malentendu qui a peut-être plus d’importance qu’on ne croit. C’était au beau milieu du mois de novembre, d’ailleurs, entre nous, qui aime le mois de novembre ? Un mois qui commence par des chrysanthèmes, qui passe par la tombe du Soldat inconnu, un mois sans solstice ni équinoxe, où les jours raccourcissent de 3 minutes toutes les 24 heures, un mois sans neige et sans fleurs, où les feuilles mortes, tombées depuis trop longtemps, sont déjà sales dans les villes, un mois aux vacances trop courtes, un mois sans révolutions, sans oiseaux migrateurs, sans jupes courtes… Non, vraiment, avez-vous déjà entendu quelqu’un dire que novembre était son mois préféré ?
Bref ce n’est pas le propos, et je devais faire court. Et puis d’ailleurs, on peut n’éprouver aucun attrait pour novembre et aimer ce novembre-ci. Pour moi, c’était plutôt bien parti, des répétitions fructueuses, des gamins à Toulon réjouissants, une tournée lyonnaise agréable et gourmande, une classe de 1ère L qui vous donne à espérer de la première moitié du XXIème siècle, la tente marocaine tout en haut de Châteauvallon, Paris qui s’annonce plutôt bien, un banquier compréhensif…
Ça y est, ça me reprend. Novembre c’est terminé. Je n’avais qu’à faire un édito en novembre, si ça me manque autant. Il faut dire que la seule idée que j’avais n’était pas très gaie, je venais d’entendre parler des médiations antibruit parisiennes et de la génialissime idée d’embaucher des mimes et des clowns pour inciter gentiment les gens à sortir des boites en silence. Je me disais Voilà le pompon, d’abord on réduit les moyens de la création, on met les artistes au RMI, de fait, on les réduit au silence et puis on leur sauve la vie en leur faisant faire les mimes et les clowns pour faire taire les autres. Je ne nous voyais pas au faîte de notre pouvoir subversif !
Bref ! C’était novembre. Ce n’est pas de cela dont je veux parler. Je veux juste dénouer un malentendu qui a peut-être plus d’importance qu’on ne croit. Le voilà :
Pourquoi appelle-t-on les gens qui viennent voir un spectacle des spectateurs ? Qu’est-ce qui nous a pris en utilisant ce mot détestable ?
A-t-on vu que dans la vie, dans la rue, quelqu’un se soit senti fier d’être resté spectateur ? « J’ai vu une échauffourée, je suis resté spectateur », « j’ai vu quelqu’un se noyer, je suis resté spectateur », « tout le monde faisait la fête, je suis resté spectateur », « j’ai croisé l’amour de ma vie, je suis resté spectateur ». Quelle classe !
Et on voudrait donner envie aux gens de venir en leur promettant d’être spectateurs ?
Il ne s’agit même pas de leur mentir, mais s’il y a bien un endroit où les gens qui viennent voir ne sont pas des spectateurs, mais des acteurs de ce qui se joue, c’est bien au spectacle. Ils ont un peu de mal à le croire, ils n’arrêtent pas de nous dire en sortant, « oh nous, on n’a pas fait grand-chose », alors ce n’est peut-être pas la peine d’en rajouter des louches en les traitant de spectateurs.
Si au lieu de cela, on leur disait la vérité. Vous qui venez nous voir, entrez dans la salle, entrez sous la toile, approchez qu’on fasse ce spectacle ensemble.
Gilles, à Port-de-Bouc, le 17 décembre.
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