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  • Photo du rédacteurGilles Cailleau

Vivre le / vivre du

Chaque spectacle est fait d’absolu et d’assemblage. Il y a celui qu'on a rêvé et celui qu’on vient de faire. On s’arrange pour qu’il se ressemble à lui-même, mais on sait bien qu’on y a mis quelques tricheries. Par tricherie, j’entends tous ces petits procédés, absolument pas méprisables, qu’en artisans nous utilisons pour sortir d’une difficulté de fabrication.

Notre intransigeance est mise souvent à rude épreuve.

Je me rappelle quand je suis devenu comédien, ou plutôt garçon de troupe (car il ne s’agissait pas tant de jouer que de travailler dans la joie à la beauté du monde, autant sur scène que dans les cintres ou dans les camions), je me rappelle donc de ce commencement : il s’agissait de vivre avant tout, de vivre le théâtre.

Vivre le théâtre (ou le cirque, ou la musique, ou la mécanique quantique…) qu’en reste-t-il lorsqu’au bout de 10, 15 ou 25 ans, on vit du théâtre ?

Quelle place a-t-on laissée à l’absolu, au désir ? Comment est-on resté fidèle à ses promesses ?

On ne vérifie jamais assez souvent si les raisons qui nous ont poussés à faire quelque chose sont des impératifs qu’on arrive à respecter.

Si la question est d’importance, c’est qu’autour de moi je n’entends que des appels aux concessions. Puisque la vie n’est pas facile, contentez-vous de peu et ne vous étonnez pas qu’on vous rogne les ailes. Mieux, rognez-vous-les vous-même et avant qu’on vous dise non, retenez-vous de proposer.

Et je suis moi aussi appelé sans arrêt par les sirènes de la concession. Parce que vivant du théâtre, justement, je me pose à chaque instant la question de savoir si telle ou telle envie, si tel ou tel risque, ne vont pas mettre en péril l’avenir d’une création, et le mien par la même occasion. Est-ce qu’il ne serait pas prudent de monter un Tour complet du cœur 2, par exemple, Le retour d’Antoine Garamond, succès national garanti, plutôt que de se lancer dans une recherche hasardeuse ?

Nous sommes tentés en permanence par la fatigue, le découragement.

Seulement l’autre jour, après une représentation, un jeune garçon s’est approché de moi et m’a dit :« j’ai aimé le spectacle, c’était vraiment bien, mais je crois que j’ai préféré la discussion qu’on a eue ensemble dans la classe, c’était tellement sincère.

Ça m’a fait plaisir, et je me suis redit que définitivement, on pouvait faire les plus beaux spectacles du monde, parler d’amour ou de politique, monter Racine ou Courteline, l’enjeu et l’intérêt de notre présence à nous n’étaient pas vraiment là.

Le motif de notre présence, et sa seule justification, c’est d’être le plus fidèle possible à nos désirs, à nos rêves, à nos premières promesses, et sans intransigeance hautaine à l’égard de nos compromis, d’œuvrer autant qu’on peut à la poursuite de notre idéal, quand tout nous invite au renoncement.

Quelle que soit la distance qui nous en sépare, notre absolu n’est pas un luxe, c’est notre discipline.

Gilles, à Bégard, en Côtes d'Armor, le 2 novembre

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